Le parfait exemple de la polygamie des Peuls Bandé du Sénégal

Le principe de la famille en Afrique

La polygamie est intrinsèque au principe du clan et de la famille. L’Afrique a toujours été, à travers l’Histoire, aux antipodes des principes capitalistes et égocentrés de l’Occident, plaçant toujours le groupe avant l’individu. 

Les récoltes et autres biens, produits sur la terre appartenant à la famille et grâce à la main d’œuvre familiale, étaient répartis sur la base des liens de parenté. Si quelque calamité soudaine détruisait les récoltes d’un homme, les parents de son village lui venaient en aide. Si la communauté entière était en détresse, les gens se déplaçaient pour aller vivre avec leur famille dans une autre région où la nourriture ne manquait pas. En pays Akan (Ghana), le système de clan était hautement organisé, de telle sorte qu’un homme de Brong pouvait se rendre en pays Fanti, à plusieurs centaines de kilomètres, et il recevoir l’hospitalité et la nourriture de la part d’une personne complètement étrangère, qui se trouvait être de son clan (1).

femme peule, l'exemple de la polygamie des peuls bandé au Sénégal

Femme peule.

Polyga.me n’est propulsé que par un instinct vengeur, donnez-lui de la force…

Étude sur la polygamie des Peuls Bandé du Sénégal

Gilles Pison, dans son ouvrage sur la démographie de la polygamie (2), interpèle sur la théorie comme quoi elle serait pratiquée dans les diverses cultures dû à un excédent de femmes sur les hommes. Puis il prouve méthodiquement avec l’exemple des Peul Bandé du Sénégal, que ça n’est non seulement pas le cas, mais tout simplement, même s’il ne l’avoue pas, que le système est parfait :

“La polygamie ne fonctionne en réalité qu’en raison d’un écart d’âge au mariage entre hommes et femmes. Pour l’illustrer, prenons l’exemple d’une population africaine, les Peul Bandé du Sénégal Oriental. On retrouve en effet souvent les mêmes mécanismes à l’œuvre dans toutes les populations polygame, seule l’importance relative de chacun varie d’une population à l’autre. Chez les Peul Bandé, la polygamie est très développée et ses mécanismes apparaissent clairement.

Les Peul Bandé sont des agriculteurs pratiquant également l’élevage, au nombre de 4100 environ en 1985, et habitant 25 villages à l’extrémité sud-est du Sénégal, dans la région de Kédougou près de la frontière avec la Guinée. Par leur langue, leur mode de vie et leur organisation sociale, les Peul Bandé sont très proches des Peul habitant, plus au sud, le massif montagneux du Fouta-Djalon, en Guinée. Depuis 10 ans, une étude a permis de décrire leur démographie (Pison, 1982). La polygamie qui en est une des composantes, a pu y être étudiée en détail.

Démographie de la polygamie, figure 2 :

Fig. 2A

Démographie de la polygamie, l'exemple des peuls Bandé, Figure A

Fig. 2B

Démographie de la polygamie, l'exemple des peuls Bandé, Figure B.

Explications à tirer de la figure 2 

Pour comprendre les mécanismes de la polygamie des Peul Bandé, il faut distinguer différentes catégories d’individus dans la population : Il faut bien sûr séparer les hommes et les femmes, les mariés et les non mariés, mais aussi les différents groupes d’âge. La figure 2 présente la répartition de la population au 1er mars 1980 par sexe (les femmes à droite, les hommes à gauche), par âge (les individus d’un sexe sont classés par groupe d’âge de 10 ans : 0 à 9 ans, 10 ans à 19 ans, etc., selon un axe vertical) et par situation matrimoniale ; Nous avons distingué deux catégories d’individu sur la figure 2a : Les individus « en union », c’est-à-dire les individus qui ont au moins un conjoint (un seul bien entendu pour les femmes, un ou plusieurs pour les hommes) et les individus « sans union », ceux qui n’ont pas de conjoint au moment de notre recensement. Cette catégorie comprend tant les individus qui n’ont jamais eu de conjoint, autrement dit, qui ne se sont jamais marié (on parlera de « célibataires ») que ceux qui se sont mariés et ont eu un ou plusieurs conjoints, mais qui n’en n’ont plus au moment du recensement, leurs conjoints les ayant quittés ou étant décédés. 

La figure 2a montre trois caractéristiques remarquables de la population Peul Bandé :

  • Une nette supériorité numérique des femmes en union sur les hommes en union;
  • Un décalage important entre les répartition par âge de ces deux catégories;
  • L’absence ou la faible proportion d’individus sans union au-delà d’un certain âge. 

La première caractéristique, l’excès de femmes en union sur les hommes en union, et directement liée à l’existence de la polygamie. Le rapport des nombres d’individus en union, représentés sur la pyramide de la figure 2a par l’ensemble des surfaces hachurées, est 1,8 femmes en moyenne par homme en union (ce rapport est souvent appelé taux de polygamie).

La deuxième caractéristiques remarquables de la figure 2a est la distribution plus âgé des hommes en union; le groupe d’âge 10-19 ans, en particulier, ne comprend aucun homme en union alors que du côté des femmes, pas loin de la moitié sont en union, à ces âges; et pour le groupe d’âge suivant, 20-29 ans, toutes les femmes sont en union, alors que plus de la moitié des hommes ne le sont pas. La quasi-totalité des individus sans union de ces deux groupes d’âge sont des célibataires (individus qui ne se sont encore jamais mariés). L’inégalité des répartitions par âge des individus en union vient de la différence de l’âge au premier mariage selon le sexe. Cette différence est importante : En moyenne 10 ans; les femmes se marient pour la première fois, en moyenne, vers 15 ans, et les hommes, en moyenne, vers 25 ans. Cet écart d’âge au premier mariage est la condition nécessaire pour qu’il y ait excédent de femmes en union sur les hommes en union. Mais elle ne suffit pas à elle seule. 

La pyramide de la figure 2a montre une troisième caractéristiques remarquables : À partir d’un certain âge tous les individus ou presque sont en union. Ceci montre d’une part que le « célibat définitif » est peu fréquent (le célibat définitif désigne la situation d’un individu encore célibataire à un âge avancé, 50 ans le plus souvent, et dont la probabilité de se marier ultérieurement est très faible) et, d’autre part, que les individus restent en union toute leur vie ou presque, après leur premier mariage. 

La figure 2b montre la répartition de la même population selon des catégories matrimoniales plus fines : Les femmes en union sont divisés en femme « en première union » d’une part, et en femme « en second union ou plus » de l’autre. Cette figure révèle qu’une partie importante des femmes en union est remariée; leur proportion augmente avec l’âge et dépasse à partir de 40 ans la moitié des femmes en union. La figure 2b révèle aussi une forte inégalité entre les générations du côté des hommes : Les hommes âgés ont, en moyenne, plus d’épouses que les jeunes. 

La polygamie des Peuls Bandé éradique le célibat

Examinons dans l’ordre ces différents traits : d’abord l’absence ou presque du célibat définitif, ensuite le remariage des femmes et enfin les inégalités entre générations masculines.

Le célibat définitif ne se rencontrent chez les Peul Bandé qu’en cas d’infirmité physique ou mentale grave, il ne concerne donc qu’une infime minorité de la population, environ 2 % des hommes de plus de 40 ans, moins de 1 % des femmes de plus de 25 ans; même les femmes infirmes se marient souvent afin de respecter la règle inspiré de l’islam : Toute femme adulte doit avoir un mari. L’islam ne fait d’ailleurs que renforcer la tradition africaine selon laquelle le célibat définitif est aberrant. 

L’absence de célibat définitif chez les femmes a pour résultat un nombre élevé de femmes en union. On pourrait être tenté de voir là un mécanisme important de la polygamie. Ce serait une erreur, notamment pour les Peul Bandé, car la fréquence également très faible du célibat définitif chez les hommes favorise, de façon parallèle, un nombre élevé d’hommes en union. La polygamie et d’abord liée dans cette population, comme dans toutes les populations polygame, à un écart d’âge au premier mariage important selon le sexe, dont résulte ce que l’on peut appeler un célibat temporaire des hommes par rapport aux femmes. 

Sans la figure 2b pour éclairer la figure 2a, nous aurions pu croire que les individus, une fois entrés en union, le restaient toute leur vie. Et pourtant tout union se rompt un jour, ne serait-ce qu’au décès de l’un des conjoints. Chez les Peul Bandé, du fait de la forte mortalité et de l’écart d’âge important entre conjoints, les femmes ont un risque élevé de devenir veuves un jour : 12 % des femmes entrant dans leur première union le deviennent dans les dix années qui suivent. L’union peut d’ailleurs être rompu d’une autre façon auparavant. La séparation — nous les appelons divorces — sont relativement fréquentes : En l’absence de veuvage, 26 % des femmes divorce dans les trois premières années de leur première union.

Le remariage des femmes, un point clé

Les ruptures d’union limiteraient sérieusement la polygamie si elle n’était pas suivies du remariage des femmes. Chez les Peuls Bandé, le remariage, après rupture d’union, est systématique chez les femmes, la situation de veuve ou de divorcée non remariée, pendant une longue période, n’étant pas admise. Même les femmes ayant atteint ou dépassé l’âge de la fertilité doivent se remarier en cas de veuvage ou de divorce. Ces unions ne sont alors souvent que formelles, pour respecter la règle religieuse, et il n’y a, en général, pas cohabitation. 

Systématique après rupture d’union, le remariage des femmes et aussi très rapide. En cas de veuvage, le nouveau mari est souvent un frère ou un parent paternel du mari décédé (cette forme de remariage est appelé « lévirat ») est le délai de remariage et fixe, 4 mois et 10 jours, comme le prescrit l’islam. En cas de divorce, le délai de remariage et fixe également en théorie; cependant, en raison des particularités du divorce et du remariage dans cette population, comme dans beaucoup d’autres populations africaines, le délai réel de remariage est souvent difficile à apprécier. Une séparation de fait, avec le retour de l’épouse chez ses parents, précède souvent de plusieurs mois la séparation de droit (droit coutumier ici, car la plupart des unions ne sont pas enregistrées à l’état civil); celle-ci est prononcée par une assemblée d’anciens, et entérinée par le remboursement au mari de la dot qu’il avait versé aux parents de la femme au moment où le mariage avait été conclu. Les parents étant souvent dans l’impossibilité de rendre la dot, parce que, comment on dit en Afrique, de façon figurée, ils l’ont « mangée », le règlement du divorce n’est possible qu’à partir du moment où un nouveau prétendant s’annonce avec une nouvelle dot. Souvent supérieure à la première, celle-ci permet ainsi aux parents de la femme, à qui elle est versée, de rembourser la première dot à l’ex-mari, tout en prenant au passage leur bénéfice. En pratique, le divorce n’est envisagé de façon sérieuse que lorsqu’il y a eu accord entre la femme et sa famille et le futur mari et, en l’absence d’un tel accord, les parents font tout pour que leur fille retourne chez son mari. 

Cette pratique a pour résultat pour la femme de lier tout divorce au remariage qui suit; le délai de remariage est court, comme dans le cadre d’un veuvage. D’où la fréquence très faible de femmes sans union au-delà de 20 ans, si faible que cette catégorie n’apparaît pas dans les pyramides de la figure 2. Une séparation de fait précède souvent, nous l’avons vu, de plusieurs mois la séparation de droit et le remariage. Certaines femmes en union, mais en instance de divorce, vivent en fait dans leur famille d’origine et ne devraient donc pas être classées en union si on utilisait le critère de cohabitation. Ces femmes ne représentent cependant pas plus de 1 à 2 % des femmes en union entre 20 et 45 ans. 

En raison du remariage systématique, et dans des délais extrêmement courts, de toute veuve ou divorcée le nombre d’épouses à répartir entre les hommes est proche de son maximum possible, une fois fixé l’âge au premier mariage. Le remariage des femmes est donc, chez les Peul Bandé, un facteur important de la polygamie, qui renforce l’effet premier de l’écart d’âge au premier mariage selon le sexe. 

Les unions formels

Le remariage systématique des femmes âgées paraît cependant gonfler démesurément le nombre de femmes en union, d’épouses qui ne le sont que de noms. Que deviendrait la polygamie sans ses unions purement formels ? Si on ne les prend pas en compte, on obtient un taux de polygamie d’environ 1,6 femmes en union par hommes en union, au lieu de 1,8; la différence est faible; ainsi, quelle que soit la définition adoptée pour les unions, la polygamie reste étroitement liée au remariage des femmes. 

L’écart d’âge au premier mariage, condition nécessaire de tout système polygame, et le remariage des veuves ou des divorcées, qui renforce son effet, ne sont pas les seuls mécanismes de la polygamie des Peul Bandé. Signalons-en deux autres que l’examen des pyramides des âges met bien en évidence :

  • la forme de la pyramide, très large à la base et se resserrant assez vite et régulièrement lorsqu’on monte dans l’échelle des âges, renforce elle aussi l’effet de l’écart d’âge au premier mariage. Cette forme, que l’on retrouve dans tous les pays en développement, est liée au niveau de fécondité et de mortalité, dont résulte chez les Peul Bandé une croissance de la population : en moyenne 12 pour 1000 par an au cours des 10 dernières années, cette croissance vient d’une natalité très élevée (52 pour 1000) en face d’une mortalité pourtant très élevée également (33 pour 1000) et d’une émigration assez forte (le solde migratoire — émigration moins immigration — est égale à 7 pour 1000). En raison de la croissance de la population, les générations successives sont de plus en plus nombreuses. Du fait de la différence d’âge au mariage, les hommes épousent des femmes appartenant à des générations plus jeunes que la leur, donc plus nombreuses. La polygamie se trouve donc favoriser. 
  • Les pyramides des âges de la figure 2 montrent aussi qu’à tout âge au-delà de 20 ans, les femmes sont plus nombreuses que les hommes; l’écart est de 20 % en moyenne. Cette inégalité est liée à l’émigration d’une fraction des hommes et aussi sans doute à une surmortalité masculine passée (les mesures de mortalité pour la période actuelle ne montrent pas de différences d’un sexe à l’autre). La polygamie se trouve, là aussi, favorisée. 

L’examen de la pyramide des âges nous a révélé plusieurs mécanismes démographiques expliquant la polygamie dans cette population. Ce sont, par ordre d’importance, l’écart d’âge au premier mariage selon le sexe, le remariage des veuves et divorcées, la croissance de la population, les migrations masculines et la surmortalité masculine. La combinaison de ces différents facteurs expliquent le niveau élevé de la polygamie.”

Conclusion

Cette étude démontre non seulement que le système polygame est parfait, mais aussi qu’il est, malgré le fait que la recherche est centrée sur une seule ethnie, universel. Car même si tous les peuples et les modes de vie ne sont pas les mêmes, les situations mises en lumière ici sont celles de chaque population du monde. Quant à sa remarque sur les unions purement formelles, on lui répondra :

En Islam l’épouse est placée sous la responsabilité de l’homme. Il y a en cela une sécurité pour elle du fait qu’il devra subvenir à ses besoins essentiels coûte que coûte. Ainsi, même si le mariage a l’air purement théorique, en pratique la femme est assurée de se placer sous la protection d’un homme, d’un revenu. Ajoutons à cela que ses besoins peuvent être charnels, et donc, il lui incombe de les assouvir. Toute union donc d’apparence formelle peut cacher ainsi une union de fait, non visible au premier regard.

L’Islam n’oblige pas le remariage de la femme veuve ou divorcée, il l’encourage par des avertissements contre la fornication, le mariage étant la seule barrière contre cela. Ceci dit, l’Islam et la polygamie pratiquée de manière générale par des peuples qui l’ont ancrée dans leurs traditions les plus profondes et fondamentales, sera développée dans toutes ses subtilités les plus utiles pour les sociétés.

Sources :

1- Walter Rodney, “Et l’Europe sous-développa l’Afrique”, trad. C. Belvaude et S. Mbuup, p.43.

2- La démographie de la polygamie par Gilles Pison. Publié par l’Institut Nationale d’Études Démographiques. 1986.